Description du chateau de Polignac.

Chap. I

 

Il en est de meme de la louange d'un grand personage que de la visite d'un beau et magnifique palais, disoit un gentil orateur : qui veut repaitre la veu d'un singulier édifice doit commencer par le dehors et conjecturer par le porche et frontispice quelle doit etre la beauté du dedans, de meme en louant quelque grand personage on n'en scaurait garder un meilleur ordre que de commencer par ce qui parait au dehors afin de là tirer quelque connoissance assurée de ce qu'il porte dans l'intérieur.

Il est doncques tems qu'aiant contemplé et taché de déduire ce qui paroit le plus aux yeux des hommes en nos seigneurs de Polignac, je les vienne trouver en leur propre siège et vrai domicile de leur grandeur, dans cet admirable et inexpugnable chateau de Polignac ou comme j'ay déja dit au commencement de cet oeuvre, le dieu Apollon prit son premier logis en France, se mettant ainsi en la tutelle de l'une des plus nobles maisons de la Gaule et la plus admirable en sa naturelle beauté et forteresse capable selon le dire d'un grand roy françois d'être la plus forte place de l'Europe.

Le chateau de Polignac est scitué sur une colline de moyenne hauteur entouré de tous cotés d'autres collines non guère plus hautes l'avoisinant presque d'une égale distance, mais telle que ce chateau tenant le millieu ne peut recevoir aucune, au moins bien petite, incommodité de toutes les collines ses voisines, y aiant entre deux un très beau, grand, profond et large vallon penchant doucement et également de tous cotés jusques au pied, vallon servant à ce chateau de très grand, très profond, de très large fossé comme à fond de cuve, fossés du tout riches, fertiles et plantureux en belles prairies, vignes et arbres fruitiers et produisant toutes les années sans interruption le plus beau froment et légumes du pais. Les prairies font le pied et fond de ce vallon ou fossés après lesquelles vous trouvez en montant les vignes et terres assises sur la pente non rude mais fort douce et aisée de toutes ces collines, meme de celle de Polignac et au dessus les vignes et terres de celles-ci, vous voiez un grand nombre de maisons et édifices enserrant de tous cotés ce chateau. Les fondements et murailles duquel comprenants entièrement depuis ces maisons tout le haut de la colline, sont composés d'un seul rocher au naturel sans aucun artifice mais si bien fait et compassé (1)par la seule nature qu'elle semble s'etre jouée, ou pour mieux dire avoir produit à dessein ce rocher si beau, si grand, si spacieux, si fort et admirable pour le rendre la demeure et le séjour agréable et assuré d'une très noble et illustre famille telle qu'est celle des vicomtes de Polignac.

Ce rocher tout massif, dense et solide tient plus de la figure ovale que ronde et s'élève à gros fil si bien également de tous cotés qu'il semble, quoiqu'il soit naturel, avoir été néantmoins actuellement taillé et compassé pour servir de murailles très hautes, hors de toute escalade, mine, sape et baterie et par ce moien, pour rendre ce chateau imprenable et inexpugnable à la force des hommes.

De plus, ce rocher en son plus haut fait un grand terre-plain bien uni en plateforme, sur partie duquel sont batis partie des logis, temples, églises, écuries et autres édifices que sont dans son chateau, le surplus servant de très grande bassecour, jardin, de pourmenoir (2), et de belles places capables de faire toutes sortes d'exercice, de jeux et esbattements tant à pied qu'à cheval, car ce terre plain au-dessus de ce rocher fermé et crénelé de tous cotés contient en sa longueur.

Le chateau n'a qu'une seule entrée mais du tout belle et admirable, tant par le nombre de ses cinq grands portaux, outre le pont-levis, que pour son complitude, largeur et facile accès, eu égard son assiette, à toutes sortes de charges et voitures, meme aux carosses et charettes conduisant et aportant librement toutes choses et provisions nécessaires, tant pour la batisse, embellissement, que pour la nourriture et entretien de cette maison, entrée si spacieuse et aisée que cinq hommes à cheval y peuvent monter ou en sortir de front.

Et affin de faire mieux comprendre la belle assiete et forteresse de ce chateau, j'ay estimé en devoir faire mettre icy le plan, lequel néantmoins encore moins celuy que le grand antiquaire Gabriel Siméon, florentin, a mis dans son livre intitulé :

Le sententiosi impreisi et dialogo del Simeone, cogla la verificatione del sito de Gergobia , la geographia d'Arverna, la figura et templo d'Apolline en Velay

ne scaurait si bien représenter ce chateau que celuy que nous vimes il n'y a pas long tems formé en l'air, tout à l'oposite de ce chateau du côté du septentrion.

Ce fut le samedi vigile de la feste de la Pentecote 1618 comme le soleil se couchoit, que nous retirans de la ville du Puy avec Mr Antoine Chapon notaire royal et lieutenant de la vicomté de Polignac, suivis d'un nommé Jean Benoit boulanger du bourg de ce lieu, comme nous fumes parvenus au dessus des vignes et [de] la colline qu'est entre la ville du Puy et le chateau de Polignac, nous découvrimes plutot le portrait, le plan, la forme et figure de ce chateau dans le ciel que l'original sur la terre, mais si bien figuré dans les nues, qui faisoient comme une large ceinture dans le ciel du couchant à l'orient, du coté du north [sic], qu'il n'y a peintre ni miroir qui sceut mieux représenter ce chateau qu'il étoit dans ces nues jusques à ses moindres parties et dedans et dehors fort naisvement au naturel et en gros volume, outre la grande tour carrée, les autres tours et clochers et l'entre deux qu'est entre ce chateau et les collines qui sont aujourd'huy du village de Tressac que nous voions merveilleusement bien formés et imprimés dans ces nues ainsi qu'étoient toutes les autres choses, j'admiray surtout la figure de l'arbre penchant et autres étant au pied du rocher, que dehors du côté du septentrion, si bien représenté qu'il ne se peut rien de mieux.

Cette représentation nous fut d'autant plus agréable qu'il se rencontre plus rarement un assemblage et concours de nues qui puissent a quire de glaces de Venise les mieux polies aiant receu les espens de quelque objet, en produire de semblable aux spaces circonvoisins.

Certes le boulangier qui ne scavoit pas ce secret d'optique en fut tellement ravi en admiration qu'il n'eut plutot aperçu et reconnu de lui meme ce chateau dans l'air qu'il se mit à crier au miracle et après ces cris et acclamations, de protester contre nous au cas que nous laisserions perdre la mémoire d'une chose si mémorable, laquelle nous vimes demi quart d'heure en son entier et puis peu à peu se dissiper à mesure que les nues qui représentoient ce chateau se dissipèrent et fondirent en l'air.

Que si cette représentation présageoit et signifioit quelquechose comme plusieurs se le sont persuadés, attendu la rareté de telle occurence advenue si bien à point et à la veue de celuy qui a ses inclinations et affections pour le bien et relief de cette maison de Polignac et que en ce tems là meme, commençoit à minuter et commencer cet ouvrage pour le meme relief, l'augure ne pourroit etre interprété qu'à l'avantage de la maison de Polignac comme dénotant que cette maison, laquelle par tant de procès et minorités, tant de mauvais ménagers et confusions des guerres et troubles passés et descheu grandement de son ancienne grandeur se relèvera bientôt jusques au ciel, c'est à dire jusques au plus haut faîte de son ancienne grandeur et richesse par le moien des belles et généreuses actions, tant de monseigneur que messeigneurs ses enfans, si bien nais et asortis de toute sorte de perfections qu'ils nous donnent une espérance comme infaillible et asseurée de faire revivre et reluire plus que jamais dans leur maison les rayons les plus brillants de leur ancien Apollon le soleil. Mais voicy le plan du chateau :

Chabron Chateau

 

(1) Parfaitement régulier ou symétrique.

(2) Promenoir

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